lundi 16 janvier 2017

VTC. Les mirages de l’ubérisation, ils en sont revenus !

VTC. Les mirages de l’ubérisation, ils en sont revenus !

cyprien boganda
Jeudi, 12 Janvier, 2017
Humanité Dimanche

Uber poursuit son implantation planétaire à marche forcée. Mais la multinationale fondée par Travis Kalanick ne fait pas que des heureux : après avoir déclenché la colère des taxis, elle se retrouve confrontéeà la fronde de ses propres chauffeurs. Le 16 janvier, ces derniers devaient manifester de nouveau.
Le mythe de l’ubérisation joyeuse a vécu. Quand elle a débarqué dans l’Hexagone en 2012, la multinationale californienne promettait richesse et liberté à des dizaines de milliers de chauffeurs en manque de revenu. Un discours d’autant plus puissant qu’il était abondamment relayé par de nombreux médias et un gouvernement trop heureux de voir le chômage baisser de quel­ques points… Que reste-il des bel­les promesses cinq ans plus tard ? Pas grand-chose, à en croire Jamel et Jérémy, qui pourtant y ont cru. Manager chez SFR pendant dix ans, Jamel a fini par quitter son boulot pour se lancer dans le secteur des VTC (véhicules de transport avec chauffeur), à l’époque où Uber promettait à ses ouailles « 8 000 euros de chiffre d’affaires garantis par mois ». « Au début, ils attirent les nouveaux venus par des slogans alléchants, explique-t-il. “Venez conduire pour nous, si vous restez connecté huit heures par jour sur l’application, même sans faire de course, nous vous gaverons de primes !” Enfin ça, c’était au début… »
Jérémy ne dit pas autre chose. Originaire de la région parisienne, c’est en arrivant à Bordeaux qu’il est tombé sous le charme du discours Uber. « J’ai toujours voulu être entrepreneur, donc l’idée de travailler à mon compte me convenait parfaitement. Je me suis inscrit sur Uber en septembre 2015. C’était l’époque où la justice avait interdit l’application UberPop (1) : ils avaient donc besoin de recruter à tout-va pour compenser la baisse de chiffre d’affaires. Ils m’ont immédiatement bombardé de mails pour m’inciter à bosser, en m’expliquant qu’ils allaient m’aider à monter ma boîte, à louer une voiture, à me trouver un comptable… C’est une véritable opération séduction. »

tarifs fixés en toute opacité

Comme des dizaines de milliers de chauffeurs Uber à travers le monde, Jamel et Jérémy travaillent en « indépendants », même si la notion d’indépendance est en réalité largement fictive. La multinationale ne salarie personne, mais prélève sur chaque course une commission de 20 % – elle a récemment annoncé son intention de monter à 25 %, déclenchant la colère des chauffeurs. Quant aux tarifs, ils sont fixés en toute opacité par l’entreprise. « Ils ont commencé à baisser les tarifs sans nous concerter, alors qu’ils parlent de nous comme de “partenaires”, raconte Jérémy. Aujourd’hui, pour m’en sortir, je suis obligé de bosser pour d’autres plateformes. Avec Uber, je réalise 2 000 euros de chif­fre d’affaires par mois. Mais, là-dessus, je ne gagne presque rien, puisque la location de mon véhicule, un van pouvant transporter 7 ou 8 personnes, me coûte déjà 1 700 euros. En cumulant mes différents boulots, j’arrive tout juste à payer les factures ! Pour ce qui est des vacances, on oublie… »
Le tout pour un rythme infernal, puisqu’il n’est pas rare de voir les chauffeurs cumuler 70 heures par semaine. Gare à ceux qui ne respecteraient pas le cahier des charges : Uber se réserve le droit de « déconnecter » (suspendre de l’application) les chauffeurs quand bon lui semble. À chaque course, les chauffeurs sont évalués par les clients, avec des notes comprises entre une et cinq étoiles. Le couperet tombe dès que la moyenne descend sous les 4,5 de moyenne, comme l’explique Sayah Baaroun, secrétaire général de l’Unsa-VTC : « Dès que vous atteignez ce premier palier, vous recevez un avertissement. À 4,3 ils vous déconnectent. Vous êtes convoqué, une discussion s’engage : “Il paraît que vous n’ouvrez plus les portes au client, que vous ne mettez plus de bouteille d’eau…” Si le mec pleure suffisamment, il peut continuer. Sinon, c’est compliqué. »

90 heures par semaine et un revenu misérable

De quoi doucher les espoirs d’indépendance nourris par les chauffeurs. Et inciter certains d’entre eux à se rebeller. « Les gens commencent à découvrir l’envers du décor, assure Jérémy. Moi, j’ai fait ce boulot pour ne pas avoir de patron sur le dos. Or Uber nous impose tout, y compris ses partenaires pour les locations de voitures ! J’ai des collègues qui bossent 90 heures par semaine, pour un revenu misérable. Ce n’est pas une vie. »
La fronde des chauffeurs, qui ont multiplié les manifestations en décembre dernier, commence à agacer l’entreprise californienne. Après avoir joué l’affrontement, celle-ci cherche désormais à arrondir les angles. Un exemple ? L’annonce de la création d’un fonds de solidarité de 2 millions d’euros (soit, à peu de chose près, le chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise en un jour !), afin de venir en aide aux chauffeurs en difficulté. L’initiative a fait grincer pas mal de dents. Ben, chauffeur à Nice, en rirait presque : « Quand ils nous ont annoncé ça, j’ai cru à une blague. Depuis, ils ont envoyé des mails à certains chauffeurs pour leur demander s’ils étaient en difficulté. J’ai des collègues qui ont reçu 70 euros ! C’est de la provocation : nous, ce que nous voulons, c’est gagner notre vie décemment. »
Parmi les chauffeurs Uber, personne ne sait si le mouvement de colère initié en décembre se poursuivra ni sur quoi il débouchera. Mais tous font état du même ras-le-bol. « Quand vous ne pouvez plus vivre de votre travail, qu’est-ce qu’il vous reste ? s’interroge Ben. Je vais vous le dire : la révolte. C’est ce qui se passe aujourd’hui. »

(1) Service proposé par la multinationale qui permettait à n’importe quel particulier de transformer son véhicule en taxi occasionnel.

CE QUE VEULENT LES CHAUFFEURS

Depuis décembre, un conflit sans précédent oppose chauffeurs de VTC et Uber. Cela fait des mois que les conducteurs se plaignent des tarifs pratiqués par la multinationale. Lorsque cette dernière a annoncé son intention de relever ses commissions de 20 à 25 %, cela n'a fait qu'aggraver les choses. Depuis, Unsa-VTC, Capa-VTC et Actif-VTC tentent de faire pression sur l'entreprise pour qu'elle fasse machine arrière. « Notre objectif, c'est d'abord de réécrire les contrats de partenariat qui lient les chauffeurs aux plateformes de VTC, explique Sayah Baaroun, secrétaire général de l'Unsa-VTC. Nous voudrions obliger les plateformes à négocier avec les chauffeurs les conditions générales d'utilisation, à commencer par les politiques tarifaires. Si les plateformes refusent, alors nous monterons d'un cran, en demandant en justice la requalification en contrats de travail. » En face, la direction d'Uber met en avant la supposée liberté dont bénéficieraient les chauffeurs. « Ils sont libres de travailler avec nous, nos concurrents, et de partir quand ils le souhaitent », assure Thibaud Simphal, directeur général, dans « Alternatives économiques » (janvier 2017). Avant d'ajouter : « Nous serions prêts à rogner nos marges et/ou à augmenter nos tarifs à condition que tout le secteur suive. » C'est ce qui s'appelle botter en touche...

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