Comment les inégalités hommes-femmes s’exercent-elles au travail ?
Mercredi, 20 Janvier, 2016
L'Humanité
Par Margaret Maruani, directrice de recherche au CNRS, fondatrice du réseau Mage, Anne-Cécile Mailfert, représentante d’Osez le féminisme !, Isabelle Clair, sociologue, chargée de recherche au CNRS et Jacqueline Laufer, sociologue, professeure émérite HEC.
- La multiplicité des rapports de domination par Isabelle Clair, sociologue, chargée de recherche au CNRS et Jacqueline Laufer, sociologue, professeure émérite HEC
On constate une multiplicité des rapports de domination. La recherche féministe, dont le Mage est en France l’un des principaux réseaux, s’est construite contre une pensée de la société exclusivement attentive aux rapports de classe : proche de théories critiques plus anciennes (marxistes notamment), elle a montré que le rapport social de sexe structurait un autre ordre hiérarchique fondamental, que la classe ne pouvait expliquer. Oublier le rapport social de sexe revenait à oublier « la moitié de l’humanité ». Le revendiquer, c’était contrer des décennies d’occultation dans la recherche en sciences sociales. Depuis, c’est la recherche féministe qui à son tour a été critiquée, en interne : parce qu’elle s’est souvent montrée aveugle à la couleur (et donc au rapport social structuré par le racisme), à la sexualité (et donc au rapport social structuré par l’injonction à l’hétérosexualité), à l’histoire coloniale de la France (et donc aux rapports sociaux structurés par la nationalité ou encore la religion), etc. Ces diverses interpellations, toujours en cours, portées dans la recherche à partir de voix émergentes dans le mouvement social, ont rendu plus difficile de seulement parler « des femmes », sans plus de précision ; elles ont mis l’accent sur les hiérarchies entre femmes et sur la multiplicité des rapports de domination à l’intersection desquelles se définissent les vies et se contestent les ordres existants. Prendre en compte cette multiplicité, c’est regarder les mondes du travail avec de nouveaux yeux, c’est mettre en lien des problèmes qui ne l’étaient pas jusqu’à présent, c’est faire émerger des figures et des expériences longtemps occultées dans l’analyse. C’est continuer à décloisonner une analyse du travail fondée sur les seuls rapports de production.
- La division sexuelle nous renseigne sur notre société par Margaret Maruani, directrice de recherche au CNRS
Le travail, l’emploi, le chômage ne sont pas des objets désuets. Serait-ce secondaire ou accessoire de traiter du chômage et du sous-emploi, de la précarité et de la pauvreté laborieuse, des écarts de salaire et de retraite, des discriminations racistes et du harcèlement sexuel au travail ? De l’évolution des métiers et de l’avenir du salariat ? Nous ne le pensons pas. Ces thèmes sont au cœur de la question sociale et nous intéressent pour cette raison. Ce sont également des interrogations centrales pour qui s’intéresse à l’égalité entre hommes et femmes, pour qui se penche sur les clivages et hiérarchies de genre, de classe et de race qui traversent et façonnent la société.
Toute l’histoire du travail est une histoire économique et sociale, mais aussi culturelle et idéologique. Chaque société, chaque époque, chaque culture produit ses formes de travail féminin et masculin et sécrète ses images et ses représentations. L’activité laborieuse est à la fois une réalité économique et une construction sociale. Les fluctuations de l’emploi des femmes et des hommes, les mouvements de la division sexuelle du travail nous renseignent sur l’état d’une société : sur le fonctionnement du marché de l’emploi, sur la place du travail dans le système de valeurs, sur le statut du deuxième sexe et sur les rapports entre hommes et femmes. Dans cette perspective, traiter du travail des femmes, c’est traiter du travail, des femmes, mais aussi des hommes et de la société. Le poids, la valeur et l’image du travail des femmes ne nous parlent pas seulement du travail, des femmes et des rapports entre hommes et femmes. Ils nous disent, tout simplement, dans quel genre de société nous vivons.
Derniers ouvrages parus : Travail et genre dans le monde, l’état des savoirs (dir.), La Découverte, 2013 ; Un siècle de travail des femmes en France, 1901-2011 (avec Monique Meron), La Découverte, 2012 ; Travail et emploi des femmes, La Découverte, coll. « Repères », édition actualisée 2011.
- Le pouvoir patriarcal par Anne-Cécile Mailfert, représentante d’Osez le féminisme !
Le monde du travail est à l’image de la société : patriarcal. Le pouvoir y est masculin, et les femmes, qu’elles soient employées, cadres supérieures, fonctionnaires ou travaillant dans le privé, n’y sont que tolérées, à un certain prix, et en paient (lourdement parfois) les conséquences. Si la cause est le patriarcat, comment créer un rapport de force favorable aux femmes ? Les inégalités ne doivent pas rester impunies ! Quand des entreprises font le choix de payer moins les femmes, de fermer les yeux sur les agissements sexistes et violents dans leurs murs, des sanctions s’imposent.Les pouvoirs publics, de par les services d’inspection du travail qu’ils gèrent, de par les obligations légales qu’ils définissent et auxquelles sont assujettis les employeurs (comme la médecine du travail, entre autres), ont les moyens concrets d’agir contre les inégalités dans le monde du travail. « Quand on veut, on peut », et tant que les pouvoirs publics ne le voudront pas vraiment, les inégalités demeureront. Que faire ? Dénoncer, s’indigner, agir, interpeller : militer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire