lundi 25 janvier 2016

Réfugiés. La solidarité des Cévennes à Calais

Réfugiés. La solidarité des Cévennes à Calais

émilien Urbach
Lundi, 25 Janvier, 2016
L'Humanité

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Décembre 2015, dans la "Jungle", Nathalie offre des repas aux migrants.
Photo : Humanité
Parties de l’Hérault, quatre jeunes femmes ont traversé la France pour venir en aide aux exilés. Expérience qui les a profondément marquées.

 

Dans la rue Jean-Jaurès, à Ganges (Hérault), le camion à bâche grise, immatriculé en Pologne, est trop petit. L’ampleur de la collecte de vêtements et matériaux de première nécessité, lancée il y a à peine un mois au profit des exilés bloqués sur la Côte d’Opale a pris de court ses organisatrices : cinq jeunes femmes, sans emploi, qui, à l’image des 2 000 manifestants qui se sont mobilisés ce week-end à Calais en solidarité avec les réfugiés, ont décidé de ne pas céder aux sirènes sécuritaires de l’État. Mais préféré agir malgré les tentatives de criminalisation des actions de soutien aux femmes et hommes en quête d’asile. « Ça faisait un moment qu’on se disait qu’il fallait faire quelque chose, raconte Nadhira quelques heures avant que leur chargement prenne la route vers le nord. Les photos du petit Aylan et les attentats de novembre nous ont décidés à agir. On a pris contact avec l’Auberge des migrants, à Calais, qui nous a indiqué ce dont il y avait besoin. »

Les dons arrivent de toute la région

Le vendredi de l’entre-deux-tours des élections régionales, Nathalie, Geneviève, Marie-Laure, Marion et Nadhira lancent la collecte en distribuant, lors du marché hebdomadaire de Ganges, un petit flyer. En quelques semaines, la mobilisation fait tache d’huile. Des dons arrivent de toute la région, du Gard, de Vaucluse, de l’Hérault. Des associations relaient l’information de leur propre chef. Des commerçants se mobilisent. La municipalité met également la main à la poche. Un particulier prête un appartement vide pour le stockage. Une troupe de théâtre locale offre la recette d’une de ses représentations et, le week-end précédent le départ de la petite équipe vers les rives de la mer du Nord, un repas festif réunit près de 120 personnes dans les locaux d’une association voisine. Nadhira peine à trouver les mots pour exprimer à quel point cet élan de solidarité l’a surprise. « Les gens sont heureux de donner, continue-t-elle. C’est un travail à plein temps. Trier, plier, ranger et le téléphone qui n’arrêtait plus de sonner. »
En un mois, environ 1 500 euros et 60 mètres cubes de matériel ont finalement été collectés. Le jeudi 14 janvier, à 9 heures, Nathalie, ­Geneviève, Marie-Laure et Marion prennent la route en voiture. Nadhira ne part pas, mais elle organise sur place le chargement du ­camion. Un tiers à peine du fruit de cet impressionnant élan de solidarité est acheminé vers la jungle de Calais. Il faudra faire d’autres voyages. Lorsque les quatre bonnes âmes arrivent à Calais, le transporteur est déjà là. Le camion est vidé dans le local de l’Auberge des migrants et elles passent leur journée à trier les affaires. Ici, femmes, hommes et enfants, habitants du plus grand bidonville d’Europe, viennent chercher de quoi se couvrir.
Le lendemain, Nathalie et ses amies se rendent enfin dans la « jungle » et sont affectées à la réalisation et au service de repas. Cinq lieux de distribution sont répartis sur tout le campement. L’association prépare environ 2 500 repas chauds par jour. « Et, en fin d’après-midi, il faut faire la vaisselle, raconte Nathalie, après trois jours passés sur place. C’est boulot boulot boulot. » Finalement, elles n’ont pas vraiment de temps pour discuter et rencontrer ces ­réfugiés pour lesquels elles ont mobilisé des centaines de personnes dans leurs villages des Cévennes méridionales. Le froid, cependant, et ce qu’elles entrevoient sur place marquent leur esprit. « Des fils barbelés et des camions de CRS encerclent en permanence le bidonville, décrit Nathalie. En fait, on donne à manger à des prisonniers. » Elles observent les bulldozers qui « aplanissent » le terrain au bord de l’autoroute d’où les autorités ont récemment décidé d’expulser les exilés. Les bénévoles sur place, « Anglais pour la plupart », aident ceux qui le peuvent à sauver leurs cabanes pour les faire migrer vers d’autres recoins du bidonville. Tout se passe dans un calme apparent, mais la tension est palpable. Dans la nuit de lundi à mardi, la semaine dernière, les forces de l’ordre ont fait tomber une pluie de grenades lacrymogènes sur cette zone à évacuer. « Cette nuit-là, des camions de l’Auberge des migrants ont aussi été caillassés, devant le local de l’association », explique Marie-Laure. Samedi soir, encore, ces logiques policières étaient à l’œuvre. 35 personnes ont été interpellées en marge de la manifestation pacifiste de soutien aux habitants de la jungle. Quinze ont été placées en garde à vue.

L’indignité de l’État

La nuit venue, les quatre jeunes femmes soufflent dans un appartement, à Boulogne-sur-Mer. « On parle beaucoup entre nous, confie Nathalie. On a du mal à prendre conscience de ce qu’on est en train de vivre. Pour l’instant, on donne. On prendra du recul en rentrant. » Mais, déjà, les réflexions affluent face à l’indignité dans laquelle l’État abandonne nos semblables qui fuient la guerre et la pauvreté. « Comment feraient-ils sans l’implication de tous ces bénévoles, pour avoir des gants, des manteaux et à manger ? s’émeut Nathalie. L’État a fait installer des containers. 1 500 personnes sont concentrées dans une zone entièrement grillagée et rien n’est prévu pour y faire à manger ou pour se laver. Les familles concernées sont obligées de continuer à se débrouiller avec ce qui existe dans la jungle. C’est un non-sens… » Jeudi, Nathalie, Geneviève, Marie-Laure et Marion ont repris la route vers le Sud. Elles vont retrouver Nadhira et promettent de coucher sur le papier leur vécu avant de revenir, plus tard, avec le reste du matériel collecté. « Ça me serre la gorge de laisser toutes ces familles là-bas, sans ­solution, lâche l’une d’elles sur le chemin du retour. Le passage vers l’Angleterre est complètement coupé. Où iront-elles après Calais ? En Bretagne ? Est-ce qu’on va laisser nos côtes se peupler de gens désespérés ? »

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