jeudi 21 janvier 2016

Patrice Spinosi : « La logique d’un état d’urgence permanent est impossible »

Patrice Spinosi : « La logique d’un état d’urgence permanent est impossible »

Entretien réalisé par Marie Barbier
Jeudi, 21 Janvier, 2016
L'Humanité

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Patrice Spinosi, avocat de la Ligue des droits
Photo : Franck Fife/AFP
La Ligue des droits de l’homme saisi, hier, le Conseil d’État pour mettre fin à l’état d’urgence. Des mesures qui ne sont plus justifiées, selon l’avocat de l’association.
En quoi le maintien de l’état d’urgence est-il une « atteinte aux libertés publiques » ?
Patrice Spinosi Par nature, l’état d’urgence est une atteinte aux libertés publiques puisqu’il permet des mesures exceptionnelles qui dérogent à l’État de droit. À tout instant, l’État peut décider de venir perquisitionner chez vous, au seul motif que vous présentez un risque de menace à l’ordre public – et pour cause, vous êtes journaliste à l’Humanité, vous êtes susceptible de déranger l’ordre public ! Aucun juge n’aura à autoriser cette action et, si vous allez vous plaindre, la perquisition aura déjà eu lieu et il faudra que vous démontriez la faute de l’administration dans cette mesure. Voilà la réalité de l’état d’urgence aujourd’hui. C’est la même chose pour les assignations à résidence. Tous ces actes ont un impact considérable sur la vie des personnes. Maintenir l’état d’urgence, c’est accepter un abandon, au bénéfice de l’exécutif, de garanties érigées pour protéger les citoyens. Cela touche au socle même de la démocratie en France, dont le principe est la séparation des pouvoirs : l’exécutif ne peut pas tout faire. La démocratie ne peut pas fonctionner comme ça ou, en tout cas, dans un temps extrêmement bref qui est celui de l’état d’urgence.
En quoi consiste votre saisine du Conseil d’État ?
Patrice Spinosi Il s’agit d’un recours en référé liberté, donc une procédure en urgence. L’audience se tiendra le 26 janvier. Aujourd’hui, les mesures de l’état d’urgence n’ont plus d’utilité, comme l’a récemment démontré le rapport de Jean-Jacques Urvoas (commission parlementaire de contrôle – NDLR). La logique voudrait donc que cet état exceptionnel cesse. Le Conseil d’État peut considérer qu’il n’a plus de nécessité et imposer au président d’y mettre fin. Il y a un précédent : en 2005, un groupe d’universitaires avait saisi le Conseil d’État pour mettre fin à l’état d’urgence décrété après la crise des banlieues. Le Conseil d’État n’avait pas fait droit à cette demande, mais s’était reconnu compétent pour statuer sur cette question. Le cadre juridique existe donc. Le Conseil d’État peut demander la fin totale de l’état d’urgence, ou partielle, s’il considère que seules quelques mesures ne sont plus nécessaires.
Lesquelles ?
Patrice Spinosi L’état d’urgence comprend trois mesures phares : les perquisitions administratives, les assignations à résidence et l’interdiction des réunions, manifestations, rencontres, etc. Mettre fin à l’état d’urgence aboutit, en pratique, à faire tomber les assignations à résidence. Le gouvernement va certainement expliquer qu’il serait extrêmement dangereux que ces personnes ne soient plus assignées à résidence. Mais elles ne peuvent pas l’être ad vitam aeternam ! On ne peut pas les assigner à résidence aussi longtemps que durera la menace terroriste. La logique d’un état d’urgence permanent est impossible, par nature il s’agit d’un moment précis et exceptionnel. Concernant les perquisitions administratives, on ne voit pas bien quelles pourraient être les justifications de leur maintien. D’après le rapport de Jean-Jacques Urvoas, elles ont été très nombreuses après les attentats, mais aujourd’hui il y en a très peu. Il en va de même concernant les interdictions de réunions, le gouvernement refuse de communiquer les chiffres, mais la COP21 et les fêtes de Noël sont passées. Il n’y a plus de raison objective de maintenir cet état exceptionnel.

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