lundi 9 mai 2016

2017. Cette gauche qui cherche le vaccin au renoncement

2017. Cette gauche qui cherche le vaccin au renoncement

Sébastien Crépel
Vendredi, 6 Mai, 2016
L'Humanité

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De 1936 à aujourd’hui, aucun progrès social n’a été possible sans que la gauche ne s’appuie sur l’intervention populaire.
Photo : Magali Cohen
Se couler dans les règles existantes ou les transformer et tenir bon face aux vents contraires ? Pour la gauche, un an avant la présidentielle, la réponse ne dépend plus de vagues promesses comme celles piétinées par Hollande mais de la manière d’affronter le « réel ».
Il a coché toutes les cases : démocratie, justice, préservation du modèle social, lutte contre la finance… Mardi, au Théâtre parisien du Rond-point, François Hollande n’a pas seulement lancé une opération de réhabilitation de son quinquennat en vue de sa possible candidature à l’élection présidentielle de 2017. Le chef de l’État y a esquissé les grandes lignes de sa conception du rôle d’une « gauche » apte à ses yeux à exercer le pouvoir, en traçant une frontière entre celle qui « ne fuit pas » ses responsabilités et s’attelle à la « modernisation du pays » en osant le « compromis dynamique et juste », et ceux qui, « toujours les mêmes », instruisent le procès, forcément injustifié, « de la compromission avec un système qu’il faudrait toujours dénoncer pour ne pas avoir à le changer ». Une opération de discrédit à l’encontre de ceux qui cherchent à rendre possible une alternative de gauche en 2017.

François Hollande cherche à diviser la gauche à son profit

Alors que les quatre bougies de sa victoire du 6 mai 2012 seront soufflées ce vendredi, et que le compte à rebours de l’ultime année du quinquennat commence, François Hollande se lance dans un combat idéologique de grande ampleur : non seulement le président de la République et son gouvernement n’auraient pas renoncé à leurs engagements de 2012, mais la voie qu’ils incarnent serait la seule possible à gauche face aux dangers d’un retour de la droite aux affaires et de la montée du Front national.
L’ex-candidat du « changement, c’est maintenant » n’ignore rien des menaces qui pèsent sur sa réélection : sondage après sondage, il est donné systématiquement éliminé au premier tour de l’élection présidentielle, au profit d’un duel au second tour opposant le candidat de la droite à celle de l’extrême droite. Les tentatives de dynamiter le clivage gauche-droite pour rassembler au centre ne lui apportant aucun bénéfice personnel, c’est à nouveau vers la gauche qu’il porte son regard, après quatre ans d’une politique qui s’en est éloignée par pans entiers. Un paradoxe qui n’est qu’apparent, car, ce faisant, il cherche à la diviser à son profit, plutôt qu’à la rassembler – une tâche quasiment hors de portée pour lui désormais –, en reprenant à son compte la théorie des deux gauches irréconciliables. « François Hollande considère que l’absence d’espérance politique en une gauche de transformation sociale capable d’exercer le pouvoir serait pour lui le moyen de trouver le trou de souris conduisant à sa réélection, décrypte le porte-parole du PCF, Olivier Dartigolles. Hollande vise l’électorat du premier tour, car c’est la question qui compte en premier lieu pour lui, dorénavant. » L’autre volet de cette stratégie étant d’inscrire son action dans l’histoire de la gauche, de Blum à Mitterrand, dont le « fil rouge » serait la « constance réformatrice ». Une manière de renvoyer les critiques de gauche de sa politique à « une forme de nostalgie par rapport à l’histoire » et à leur incapacité supposée de « volonté de conquête par rapport à l’avenir ».
En revendiquant la filiation de son action avec celle du Front populaire, le président de la République inverse grossièrement les choses : le renoncement au changement ne serait pas le fait de son gouvernement, mais celui d’une partie de la gauche qui refuse d’« affronte(r) » la « réalité » et se complaît dans « l’immobilisme ». « François Hollande est un voleur de mots. C’est un mollétiste (partisan de Guy Mollet – NDLR), il prend des accents de gauche, mais il fait tout l’inverse. Ce qui compte pour lui, c’est de revêtir l’uniforme du pilote, peu importe le cap. Mais la gauche est à la fois mouvement et défense des acquis des luttes passées », affirme le secrétaire national du Parti de gauche (PG) et porte-parole de Jean-Luc Mélenchon, Alexis Corbière. « Les faits sont têtus, rappelle de son côté Olivier Dartigolles. Le hollandisme a été en réalité une arme de destruction massive de ce que la gauche a pu obtenir par le passé », comme le montre le projet de loi de « démantèlement » du Code du travail.

La notion jamais neutre de « réalité »

Un mouvement que les formations du Front de gauche, si elles s’inscrivent dans des stratégies de rassemblement différentes pour les échéances de 2017, rêvent néanmoins toutes d’inverser, en reprenant le cours des conquêtes sociales que la majorité sortante n’a pas su ou voulu reprendre. Or la tâche est tout sauf évidente : comment garantir qu’une nouvelle majorité de gauche, même parée d’un programme plus offensif que celui de François Hollande en 2012, si elle était élue, ne plierait pas à son tour face au « mur de l’argent » ? « Dans ce paysage lourd de dangers, des millions de gens qui se reconnaissent dans les valeurs de gauche restent disponibles, mais ils doutent : ce qui est souhaitable est-il possible ? » expose Olivier Dartigolles. Pour la porte-parole d’Ensemble, Clémentine Autain, il n’existe pas de « réponses simples, toutes faites » pour la reconstruction d’une perspective de gauche.
L’expérience montre en effet qu’aucun gouvernement de gauche précédent, même mieux intentionné que l’actuel, n’a résisté très longtemps devant le poids des « réalités » invoquées aujourd’hui par les tenants d’une gauche dite « moderne ». Pour l’historien Roger Martelli, « il y a toujours ce qu’on appelle la prise en compte de la réalité, le problème c’est : qu’est-ce que cette réalité ? Ce sont deux choses antagoniques, d’un côté, il y a les demandes qui montent de la société de développer les capacités humaines, c’est-à-dire répondre aux exigences d’égalité, de redistribution, de reconnaissance des statuts, etc. Et de l’autre, il y a la “réalité” d’un modèle économique et social reposant sur l’accumulation des marchandises et des profits. La tendance générale des gouvernements dirigés par des socialistes a été de considérer in fine que l’élément déterminant de la “réalité” est le deuxième aspect ».
C’est bien cette notion, jamais neutre, de « réalité » sur laquelle un gouvernement fait le choix de s’appuyer qui est au centre de la critique du politologue membre du PS Rémi Lefebvre : « Les socialistes s’adaptent au “réel”celui “indépassable” dicté par les marchés financiers et les injonctions d’une construction européenne plus que jamais libérale. » Mais alors, interroge-t-il, « de quel réel est faite la souffrance sociale ? ».
Derrière cette bataille de mots se cache en fait l’une des clés de la réussite d’une politique de changement. « Au fond, le mot de réalisme dissimule l’intériorisation par les gouvernants de présumées contraintes qui tournent le dos aux exigences sociales du monde du travail et des catégories populaires », explique Roger Martelli. « Le courant hérité de la social-démocratie est expert de cette confusion entre adaptation et reniement », selon Clémentine Autain. « Celui qui refuse d’être dans la réalité, c’est Hollande, en refusant d’affronter l’adversaire qu’il avait désigné : la finance », estime de son côté Alexis Corbière, pour qui un gouvernement qui se proposerait de réussir devrait « s’appuyer sur le mouvement populaire pour créer un rapport de forces au lieu de s’en prendre à la rue comme le font Valls et Hollande ». « Une bataille politique pour infléchir le cours des choses doit s’accompagner d’une mobilisation sociale, s’il n’y a pas cette conjonction des deux, il n’y a pas d’issue possible », confirme Roger Martelli.

« L’expérience modèle est celle de 1936 »

De ce point de vue, toutes les expériences ne se valent pas, contrairement au curieux inventaire dressé par François Hollande dans lequel la retraite à 60 ans – acquis de 1981 qu’il n’a pas rétabli – est mise sur le même plan que d’autres « réformes » comme la restructuration des industries en 1984 par Pierre Mauroy, « le choix de l’Europe monétaire » de Jacques Delors ou la lutte contre les déficits publics de Lionel Jospin… Mais cette « convocation parcellaire, orientée de l’histoire de la gauche au pouvoir », selon Olivier Dartigolles, répond à un motif idéologique : elle permet au chef de l’État « de s’inscrire dans le livre comme le continuateur de cette histoire, et de chuter sur sa conclusion des deux gauches irréconciliables ». Et d’ignorer ainsi certaines « conditions historiques », comme le fait que la politique menée n’était pas la même selon que le mouvement ouvrier et le PCF étaient influents comme en 1936 ou affaiblis comme en 1981 et 1997…
Pour Roger Martelli, « l’expérience modèle est celle de 1936, celle d’un gouvernement de gauche qui arrive au pouvoir et, dans la foulée, un mouvement ouvrier qui sent qu’il a la possibilité de s’appuyer sur un État qui lui est plus familier, et qui crée un rapport de forces pour imposer les transformations du Front populaire. Les expériences de 1981 et 1997 sont des contre-modèles de 1936 du point de vue de la mobilisation populaire ».

La leçon du bras de fer grec

Reste que le contexte a changé, rappelle Alexis Corbière : l’entrée dans « un nouvel âge du capitalisme, aujourd’hui transnational » exige, selon lui, de l’« affronter dans ce nouveau cadre » et de « retrouver des espaces de souveraineté » en instaurant, par exemple, un « protectionnisme solidaire » contre le dumping. Tout le contraire de ce qu’a fait Hollande, qui s’est comporté en « majordome de la chancelière allemande Merkel pour étrangler le premier ministre grec Alexis Tsipras », l’été dernier, poursuit le responsable du PG. « Plus jamais un gouvernement comme celui de Tsipras ne doit se retrouver abandonné comme un chien, renchérit Olivier Dartigolles. On connaît les verrous à faire sauter pour passer du souhaitable au possible, ce sont ceux sur lesquels le hollandisme a construit sa trahison. Le premier, c’est la question démocratique : la gauche au pouvoir devra s’attaquer à la question institutionnelle pour en finir avec le présidentialisme. Le deuxième, c’est la construction des solidarités européennes. Le troisième, c’est le verrou de l’argent, qui appelle le vote d’une grande réforme fiscale et du crédit. » Le porte-parole du PCF estime aussi nécessaire de « ne pas laisser la question du réformisme et donc du compromis à François Hollande. Il peut y avoir des réformes de gauche qui actent des compromis si ce sont de premières marches vers des transformations sociales s’inscrivant dans un temps plus long. Sinon, on ne fera qu’alimenter l’idée d’un divorce irrémédiable à gauche. Or il existe avec ceux qui mènent la politique actuelle, mais pas entre les électorats ».
Un credo compatible avec celui de Marie-Noëlle Lienemann, figure de l’aile gauche du PS et auteure d’un livre sans concession sur le bilan du quinquennat intitulé Merci pour ce changement ! (Éditions du Moment). « D’aucuns diront qu’il y a trop d’antagonismes entre deux tendances de la gauche. En réalité, les divergences sont surmontables et les différences peuvent être fécondes, si l’on excepte la petite minorité qui ne veut rien avoir affaire avec les autres et juge préférable de se rapprocher du Medef et de la droite », relève la sénatrice, en notant au passage que « les tenants de la fracture entre les deux gauches, François Hollande comme Jean-Luc Mélenchon, n’y sont pas favorables ».

Ne pas lâcher sur le clivage gauche-droite

Pour sa part, Alexis Corbière préfère « ne pas faire de découpage entre gauche de gouvernement et gauche radicale, puisqu’on aspire à exercer le pouvoir. D’ailleurs, tout comme le PCF dans les villes qu’il dirige, nous l’exerçons déjà, via nos élus ». Mais Jean-Luc Mélenchon, qui talonne le président sortant dans les sondages à 10-16 %, ne fait pas mystère de sa volonté d’une confrontation avec ce dernier : « C’est normal, il faut qu’il assume », a-t-il déclaré au Journal du dimanche le 20 avril. « Jean-Luc est désormais au-dessus du niveau de crédibilité, assure Alexis Corbière. Le vote utile pourrait tourner en sa faveur. Mais l’essentiel est de revenir sans cesse sur le fond des propositions. » Pour lui, un pouvoir de rupture se distinguera aussi par sa « méthode politique » de gouvernement : « Nous aurons besoin de mobilisation. Il faudra expliquer le rapport de forces, indiquer les partenaires que nous chercherons, montrer les points de passage possibles et aussi les difficultés et les compromis nécessaires pour pouvoir agir. Tout ce que n’ont jamais fait Hollande et ses ministres. » Le porte-parole du candidat de la France insoumise met lui aussi en avant la nécessité de « changer les institutions, pour créer de vrais contre-pouvoirs, là où la Ve République n’accorde aucun pouvoir et démobilise ».
Olivier Dartigolles insiste, lui, dans le même temps sur l’idée de ne pas lâcher sur la pertinence du clivage gauche-droite et sur l’idée d’une « gauche d’alternative à vocation majoritaire ». « Je ne partage pas l’idée que c’est mort pour 2017. En quatre mois, le paysage social et politique a bougé dans la bonne direction », avec l’irruption du mouvement social contre la loi El Khomri et de Nuit debout : « Qui aurait imaginé cela après les élections régionales ? » Pour lui, « des ressources incontestables existent mais elles sont éparpillées. La grande question au cœur du congrès des communistes de juin sera de faire converger ces forces », dans la rue, mais aussi dans les institutions « où les communistes sont des points d’appui importants pour les forces sociales, au Parlement comme dans les collectivités dont ils ont la charge ».

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