lundi 23 mai 2016

Qu’on se le dise : Sète est le meilleur festival photo !

Qu’on se le dise : Sète est le meilleur festival photo !

Magali Jauffret
Dimanche, 22 Mai, 2016
Humanite.fr

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Photo : FLAVIO TARQUINIO
C’est par la poésie, l’évolution des formes documentaires que la huitième édition d’ « Images Singulières », qui s’achève, se distingue, stimulant réflexion et nouvelles formes de partage, de luttes.
Sète, envoyée spéciale
« ImageSingulières », le festival sétois de photographie le plus engagé, le plus surprenant, le plus accueillant de France, s’est taillé, en huit ans, une réputation qui permet à Gilles Favier et Valérie Lacquittant d’oser, sur les cimaises, de sacrées tentatives plastiques. Cette année, la programmation très cohérente de ce laboratoire de l’image documentaire est marquée par la dinguerie à tous les étages, une dinguerie qui veut « rendre le vivre ensemble plus lumineux, moins obscur ».
Dans la section « héros de la classe ouvrière »
A commencer par « Rêves, gloire et passion », intitulé choisi par Marie-Claude et Alain Govaert pour raconter, de 1989 à 2006, l’histoire photographique romancée de leur couple à la colle et dans la mouise, hébergé dans le quartier populaire lillois de Wazemmes, depuis nettoyé. Une série détonante, faite de diapositives de marque inconnue, envoyée via la poste par leur auteur, Flavio Tarquinio, qui, partout, s’était vu refuser ce baroque roman photo : en noir et blanc, le quotidien de Marie-Claude et Alain, du bistrot, leur café Lehmitz à eux, de leur fraternité. En couleurs, les mises en scène, avec les moyens du bord, de leurs sacrés fantasmes : lui en Pépé le Moko, elle en femme fatale-sirène, le tout accompagné de scènes bibliques réalisées, grâce à un casting de rue, un SDF portant la croix…  Un discret photographe de Maubeuge invité à pénétrer, sur la durée, l’identité et l’imaginaire d’un lumpen-prolétariat lillois qui n’a pas perdu ses rêves, ca casse la baraque !


Surtout que la veille, on avait vu une étrangeté, le film préféré de John Cassavetes, réalisé en 1956 par Lionel Rogosin, « On the bowery », une vision dantesque des effets du chômage de masse, dans Manhattan changé en enfer. Issue de photos, l’œuvre devient cinématographique avant de se charger de fiction.
C’est un peu ce qui arrive à « La parade », série de Samuel Bollendorff à l’image (fixe, en mouvement, parlante) et de Mehdi Ahoudig, au son, mais alors de plus en plus prégnant. Un conte post-industriel optimiste inspiré des traditions ouvrières du Nord et racontant notamment l’histoire de CloClo n°18, qui débouche, un soir de festival, sur le vrai défilé, en plein mitan des images, des majorettes de Montpellier toutes de purple vêtues.


La forme poétique est révolutionnaire
La dinguerie poétique se retrouve aussi chez le Belge Sebastien Van Malleghem immergé trois ans en prison. Têtes cabossées dedans et dehors, fractures à nu, la part d’humanité a beau être omniprésente dans le regard du photographe, quand les barbelés de la claustration donnent l’impression aux détenus d’avoir été jetés dans des trous, comme des rats, on ne voit plus la différence entre détention carcérale et psychiatrique…


Il y a de cela dans la série compulsive de l’Anglais Rip Hopkins photographiant jusqu’à plus soif une aristocratie belge frappée, même avec chien, hermine et blasons, par une foutue déchéance.


Quant au très politique Christian Lutz, convaincu que « la forme poétique est révolutionnaire », il excelle lorsque sortant des circuits touristiques, il montre « des individus isolés recrachés par les casinos carnassiers de Las Vegas».


Le reste de la programmation, de très haute tenue, transmet la chair de poule de l’émotion, qu’il s’agisse du mano à mano Anders Petersen/Alberto Garcia Alix sur Valparaiso ; de la résidence sétoise de jeunes photographes chiliens; des trente ans de l’agence Vu créée par Christian Caujolle et de sa découverte des grands talents de la photo espagnole alors à peine libérés du franquisme (Isabel Munoz, Chema Madoz, Juan Manuel Castro Prieto, Cristina Garcia Rodero, Ricard Terré, Virxilio Viéitez) ici présentés dans une exceptionnelle scénographie faite de containers ; de la formidable évolution de l’écriture photographique de Guillaume Herbaut, fils de Visa pour l’image passé, dans ses photos ukrainiennes, du photoreportage au documentaire d’auteur et à la vidéo ; d’un Pays Basque aussi émouvant que la campagne italienne de Giacomelli, vu par l’Américaine Anne Rearick, qui sera la résidente de la prochaîne édition ; de l’intéressant projet participatif « La France vue d’ici » qui, mené avec Médiapart, a déjà mis en mouvement, à travers l’hexagone, en vue d’une grande exposition et d’une publication, à l’échéance des élections de 2017, quelques 26 photographes…



A regarder :
Les livres d’Alberto Garcia Alix, Christian Lutz, Anders Petersen, Sebastien Van Malleghem sont publiés par André Frère Editions, Rip Hopkins par Filigranes Editions, le livre de la Résidence sétoise des Chiliens par Le Bec en l’air, celui d’Anne Rearick sur deux townships du Cap par Clémentine de la Ferronière.
A visiter:
le site du festival :

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