mercredi 11 mai 2016

Les cheminots du privé, l’autre bataille du rail

Les cheminots du privé, l’autre bataille du rail

Marion d’Allard
Mercredi, 11 Mai, 2016
L'Humanité

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Manifestation des cheminots, hier, gare Montparnasse, à Paris.
Photo : Denis Meyer
Des milliers de salariés du ferroviaire ont manifesté hier à Paris pour peser sur les négociations sociales en cours. Parmi eux, des cheminots du secteur privé déjà précarisés à l’extrême.
Dans la foule des cheminots rassemblés hier à Paris pour la défense de leurs droits, au milieu des drapeaux syndicaux et dans le brouhaha de la sono, ils n’étaient pas faciles à trouver, les salariés des entreprises privées du rail. Pourtant, à l’heure où les négociations sociales se poursuivent dans la branche, à l’heure où l’État et le patronat du ferroviaire mènent conjointement une course à la productivité et à la flexibilité, ils sont en première ligne.
Moins protégés que leurs collègues du groupe public, ces cheminots du privé, qui souvent ne bénéficient pas d’accords d’entreprise, seront désormais intégrés dans la convention collective nationale (CCN) actuellement en négociation. Arracher une CCN de haut niveau est donc, singulièrement pour eux, l’un des enjeux forts de la mobilisation.

« Le privé dans le ferroviaire, c’est le XIXe siècle »

En tout, une grosse vingtaine d’opérateurs privés circulent aujourd’hui sur le réseau national. Principalement dans le secteur du transport de marchandises, ouvert en 2006 à la concurrence. « Dans ma boîte, certains bossent jusqu’à 80 heures hebdomadaires, on est toutes les semaines en heures sup’ », explique Dominique Jacquet, conducteur chez Euro Cargo Rail (ECR, filiale privée du groupe public allemand Deutsche Bahn, 1 200 salariés en France). Drapeau CGT sur l’épaule, il poursuit : « Manifester aujourd’hui avec nos collègues de la SNCF, c’est fondamental. Pour nous, une CCN de haut niveau, c’est la garantie de plus d’égalité entre les salariés de la branche. » « On est épuisés, isolés, c’est très compliqué pour nous de nous organiser syndicalement pour défendre nos droits. Les patrons veulent nous mettre en astreinte permanente, ils veulent qu’on devienne des nomades du rail, à leur disposition d’une minute à l’autre », reprend-il. En résumé, enchaîne un de ses collègues conducteur chez ECR en Bretagne, « on fait le même job que les cheminots du public, mais on n’a pas le même régime de temps de travail et de protection sociale ». Et si, chez ECR, la productivité prime sur toute autre notion, y compris celle de sécurité, dans les autres entreprises privées, le tableau n’est pas plus rose. Ronan Bourdon est conducteur chez Europorte (entreprise de fret ferroviaire, 460 salariés en France), basée à Saint-Pierre-des-Corps. En dehors de la pression sur la production, ce syndiqué à la CFDT évoque le chantage à la faillite utilisé par la direction pour justifier toujours plus de flexibilité et de précarité : « Le projet actuel de CCN augmente nos jours de repos annuels de 104 à 115. C’est la seule bonne chose de ce texte. Mais nos patrons s’en servent pour dire que, s’ils devaient l’appliquer, ça leur coûterait trop cher et ils mettraient la clef sous la porte. » « Aujourd’hui, le privé dans le ferroviaire, c’est le XIXe siècle », renchérit Cyrille Vainsonneau, secrétaire national à la CFDT. Pression sur les syndicats, « chasse aux sorcières » contre les militants... Les salariés du privé sont à bout de nerfs et ceux rencontrés hier en appellent tous au durcissement du mouvement.
« Dans les propositions mises sur la table, il y a partout l’empreinte du patronat privé, avec l’appui de la direction SNCF », note Didier Le Reste. Pour l’ancien secrétaire général de la CGT cheminots, la tendance n’est pas nouvelle. « Il y a quelques années, le patronat privé des chemins de fer voulait, à l’échelle européenne, porter les conditions sociales de ses salariés à la hauteur de celles des routiers, avec, par exemple, la possibilité de huit jours de travail loin de leur domicile. » La force de la mobilisation aura permis de mettre fin à de tels projets. « Mais aujourd’hui, on retrouve les mêmes attaques, ici, en France », se désole Didier Le Reste. « On va droit au-devant de catastrophes », confiait hier un conducteur de fret privé, rappelant, une fois encore, à quel point, en matière de ferroviaire, conditions de travail et sécurité sont intimement liées.

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