lundi 2 mai 2016

Michel Neyret, l'ancien superflic devant ses juges

Michel Neyret, l'ancien superflic devant ses juges

Marie Barbier
Dimanche, 1 Mai, 2016
Humanite.fr

L’ex-numéro 2 de la police judiciaire lyonnaise est jugé pour corruption et trafic de stupéfiants. Son procès devrait mettre en lumière la difficulté des liens entre les policiers et leurs informateurs.
Comme dans les bons polars bien sales, le procès de Michel Neyret qui s'ouvre lundi après-midi devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris attirera certainement la foule des grands jours. Caméras et flashs de circonstance, bancs de la presse pleins à craquer. Et un public nombreux, prêt à attendre des heures pour ne pas en rater une miette. Le peuple venu assister en direct à la chute d'un homme : l'ancienne star de l'antigang, grande et belle gueule aimée des plateaux de télé, devenue le ripou, le flic à abattre, symbole de tous les maux d'une police à l'ancienne. La décadence fascine...
 
Elle foisonne dans ce dossier : des séjours dans des hôtels de luxe à Marrakech et à Cannes, une montre Cartier à 30 000 euros, des grosses cylindrées prêtées le temps de vacances dans des villas cossues de la Côte d'Azur. Le tout offert gracieusement en échange de renseignements confidentiels livrés à des figures du milieu : fiches de police, Interpol et interventions auprès de magistrats. Michel Neyret aurait même pu se retrouver dans le scandale des Panama Papers : deux mois avant son arrestation, il ouvrait un compte panaméen pour « préparer (sa) retraite ».
 
Sûr que le fils de mineur lorrain, élevé avec son grand frère dans une « bonne ambiance familiale » par une mère au foyer et un père travailleur, s'est perdu. Peut-être dans le septième art, si tant est que l'on puisse qualifier ainsi le film les Lyonnais de l'ancien flic Olivier Marchal. Son commissaire copie la veste ajustée sur la chemise, col grand ouvert du commissaire star, crédité au générique comme «  conseiller ». Nous sommes fin 2010, Neyret bascule. Dans les écoutes téléphoniques, sa femme Nicole – poursuivie pour recel de trafic d'influence passif et de corruption passive par personne dépositaire de l'autorité publique – ne dit pas autre chose à son informateur : « Depuis que tu lui donnes du fric, c’est plus le même. Tu me l’as pourri, Michel. (...) Je voulais un mec sain et maintenant, il est plus voyou que les autres. Mais, arrêtez ! Il est obnubilé par le fric. Gilles, je te demande une chose : arrête de le gâter, parce que l’autre, il sait plus où il en est. »
 
Avant, Neyret, c'était la star des flics, celui qui avait fait tomber les plus gros, une légende dans la « maison poulaga ». Un « fonctionnaire de police tout à fait exceptionnel par ses états de service », note plus sobrement le juge d'instruction chargé de l'affaire. Enragé, il refuse les promotions pour « rester sur le terrain », mais avec des méthodes litigieuses. Ses indics, les « tontons » dans le jargon, sont aussi ses amis. Les frontières sont poreuses...
 
En garde à vue, Michel Neyret reconnaît de nombreux faits, comme avoir renseigné ses informateurs grâce aux fiches policières confidentielles. En revanche, il a toujours nié avoir reçu de la monnaie sonnante et trébuchante pour ces renseignements. Oui, on lui a payé quelques voyages, des montres, des vêtements, mais ce serait par « amitié », assure-t-il. Une défense qui laisse « sceptique » le juge d'instruction. Le magistrat pointe l'ambiguïté des liens du commissaire avec ses informateurs, dont beaucoup sont des « relations crapuleuses ».
 
Stéphane Alzraa, par exemple, homme d'affaires franco-israélien, plusieurs fois condamné pour fraude fiscale et abus de biens sociaux. En échange de séjours dans des hôtels de luxe ou dans sa villa avec piscine près de Cannes, où il fournit lui-même les masseuses au commissaire, il bénéficie des renseignements obtenus par Neyret, pour lui et ses associés. Placé en détention provisoire dans cette affaire, puis sous contrôle judiciaire, il est retrouvé, en juillet 2013, dans un « appartement de haut standing » à Cannes, avec une starlette de téléréalité et des liasses de billets de 50 euros. De nouveau incarcéré, il s'est évadé en décembre 2015 de la prison de Corbas (Rhône).
 
Les autres tontons, les petits, Neyret les rémunère en dope. Une vieille pratique, assure-t-il, qui permet de fidéliser ses informateurs et d'obtenir des résultats dans la lutte contre le grand banditisme et la criminalité organisée. Outre la corruption et le trafic d'influence passifs, l'ancien commissaire divisionnaire est donc aussi poursuivi pour infraction à la législation sur les stupéfiants.
 
Des indics rémunérés avec de la drogue ? « Avant, la police fermait les yeux », assure Gilles Guillotin, ancien numéro 2 de la PJ grenobloise, également mis en examen dans cette affaire pour avoir détourné plusieurs kilos de résine de cannabis, placés sous scellés. Écœuré par cette affaire qui lui a coûté son métier, l'ancien flic se lâche dans un livre sorti fin mars, 33 Ans flic pour rien ? (éd. Temporis) : « C'est le bal des hypocrites. » Il voit là un règlement de comptes au sein de la police doublé d'un écran de fumée voulu par le pouvoir politique et le ministre de l'Intérieur de l'époque, Claude Géant, pour faire oublier l'affaire Bettencourt. « Neyret a été encensé par sa direction pendant des décennies pour des résultats qui fonctionnaient, atteints avec des méthodes que tout un chacun connaissait. Sa hiérarchie, bien sûr, mais aussi les magistrats, les parquetiers, les politiques », écrit-il.
 
Chacun s'accorde, en tout cas, à dire que Neyret n'en a tiré aucun profit. Dans son ordonnance de renvoi, le juge d'instruction a cette phrase assassine : « C'est sans doute davantage en termes de satisfaction égocentrique qu'il faut chercher la finalité de son action. »
Dix jours d'audience sont prévus jusqu'au 24 mai.

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