lundi 2 mai 2016

Un cas de conscience pour les députés face au projet de loi El Khomri

Un cas de conscience pour les députés face au projet de loi El Khomri

gérard le puil
Lundi, 2 Mai, 2016
Humanite.fr

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Photo : Loic Venance/AFP
En dépit de la mobilisation qui a connu une nouvelle étape hier contre le projet de loi El Khomri, le texte sera discuté à partir de demain à l’Assemblée nationale. Le débat risque de durer puisque près de 5 000 amendements ont été déposés par les députés, dont un très grand nombre par les parlementaires du Front de gauche opposés à ce texte.
Les députés socialistes ont aussi déposé de nombreux amendements, certains en phase avec ce que souhaite le gouvernement, d’autres plus proches des positions défendues par les députés du Front de gauche. On pourra voir quelle sera l’attitude du gouvernement par la voix de la ministre du Travail. Cette dernière s’est contentée de dire hier sur Europe 1 que « l’heure du Parlement est venue ». On peut aussi penser que la droite tentera de jouer les arbitres chaque fois qu’elle pourra trouver une majorité de députés pour voter des amendements favorables aux attentes de Pierre Gattaz et du MEDEF.
On a beaucoup commenté ces derniers jours la baisse du chômage en mars. Elle a été de 62 400 pour les demandeurs d’emploi de catégorie A, ceux qui n’ont pas travaillé du tout  durant le mois. Mais la France comptait pourtant 3,79 millions de chômeurs en catégorie A au 31 mars 2016. Ils étaient 3,16 millions au début du quinquennat de François Hollande. Enfin, on a moins parlé ces derniers jours de la hausse du nombre de demandeurs d’emplois inscrits dans les catégories B et C. Ceux là travaillent quelques heures dans le mois, mais pas assez pour être sortis des statistiques du chômage. Leur nombre a augmenté de 52.800 en mars, ce qui ramène la réduction totale du nombre total de chômeurs à 9.600 personnes pour le mois.
On a aussi appris vendredi dernier que la croissance de l’économie française avait été de 0,5%  pour le premier trimestre de l’année. Si le chiffre est intéressant à première vue, il convient de noter que la douceur de l’hiver n’a jamais perturbé les secteurs économiques dont la production aurait pu être freinée par le mauvais temps dans l’agriculture comme dans le bâtiment et les travaux publics. Mais on estime surtout que les trois quarts du demi-point d’augmentation de l’activité économique de ce trimestre sont imputables à la baisse du prix du pétrole qui augmente les marges des entreprises et donne un surplus de pouvoir d’achats à des millions de travailleurs indépendants et de salariés qui utilisent un véhicule pour travailler ou pour se rendre au travail.

Le gouvernement a favorisé l’expression d’une majorité d’actionnaires

On peut aussi penser que le gavage du patronat par des aides gouvernementales comme le Contrat Investissement Compétitivité Emploi( CICE ) a pu avoir quelques effets en termes de relance de l’activité, via les investissements, sans toutefois modifier la logique de la course aux profits et de la rémunération des profiteurs, qu’ils soient actionnaires ou PDG. Ainsi, le salaire annuel de Carlos Tavares est passé de 2,7 millions d’euros en 2014 à 5,2  millions d’euros en 2015 à la tête du groupe Peugeot. Pour ne pas être en reste, le salaire de Carlos Ghosn à la tête de Renault a été porté à 7,251 millions d’euros en 2015, soit une augmentation 54%. Certes, en sa qualité d’actionnaire du groupe, le gouvernement a favorisé l’expression d’une majorité d’actionnaires qui ont voté contre cette hausse lors de l’assemblée des actionnaires. Mais le Conseil d’administration du groupe Renault a fait valoir que ce vote n’était qu’indicatif  et ne remettait pas en cause le droit des administrateurs de fixer librement le salaire du PDG, par ailleurs PDG du groupe Nissan avec un autre salaire à la clé !
Dans le projet de Loi El Khomri soumis demain à l’examen du Parlement, il n’y a rien pour introduire la moindre limitation des salaires indécents des dirigeants d’entreprise. Mais le point 2 de ce projet de loi  indique qu’un accord d’entreprise - dont on peut imaginer qu’il sera souvent obtenu par du chantage à la fermeture via la délocalisation- pourra abaisser le taux de majoration des heures supplémentaires à 10%  dans le cadre d’une augmentation du temps de travail jusqu’à 12 heures par jour. Dans le cadre du droit actuel ces heures supplémentaires seraient majorées pour partie de 25%  et pour partie de 50%.

La grande distribution a utilisé le CICE depuis 2013 pour piller ses fournisseurs

On peut donc penser qu’il sera plus profitable au patronat de faire tourner des entreprises, notamment sous-traitantes, en sous-effectifs permanent dès lors que des heures supplémentaires majorées à seulement 10%  éviteront d’embaucher. Voilà qui contribuera à augmenter le chômage au lieu de le réduire. Cette pratique sera d’autant plus tentante que le point 4 du projet El Khomri, s’il est adopté, permettra de négocier des baisses de salaires dans le cadre d’accords de compétitivité, allant même jusqu’à supprimer des avantages acquis comme le treizième mois et la prime annuelle d’intéressement. Si elle était votée, cette loi qui fait reculer les droits collectifs des travailleurs, permettrait  en grande firmes disposant de nombreuses filiales - mais aussi aux donneurs d’ordres qui  font travailler des sous-traitants - d’accroître la concurrence, de transformer leurs fournisseurs en esclavagistes eux-mêmes précarisés pour conserver des débouchés.
A ce propos, il est bon de rappeler comment la grande distribution a utilisé le CICE depuis 2013 pour piller ses fournisseurs quand il s’agit des PME de l’agroalimentaire, très nombreuses en France. Cette ristourne fiscale (4% en 2013 et 6% depuis 2014) versée chaque année à toutes les entreprises pour tous les salaires bruts inférieurs à 2,5 SMIC est massivement perçue par les enseignes de la grande distribution. Mais cela ne leur suffit pas. Avec les moyens de pression qui leur ont été donnés avec la Loi de modernisation économique (LME). Elle fut votée en 2009 par la droite, suite au rapport Attali-Macron commandé par Sarkozy sur une suggestion de Michel-Edouard Leclerc. Depuis, les distributeurs ont fait baisser de 6 points les marges brutes des PME  de l’agroalimentaire. Comment ?  Pour l’essentiel en exigeant dans les négociations annuelles sur les prix  d’achat des denrées qui seront référencés pendant douze mois dans les grandes surfaces, que ces entreprises leur consentent un rabais sur les prix égal à la moitié  des sommes perçues par elles de l’Etat au titre du CICE! Au nom de la défense des consommateur bien sûr. Mais au point que ces entreprises n’investissent plus alors qu’elles ont besoin de se moderniser expliquait récemment Jean-Philippe Girard, président de l’Association nationale des industries alimentaire (ANIA) lors d’une conférence de presse.

Exiger le retrait

Enfin, ce projet de loi prévoit dans son article 44 que la visite médicale d’embauche ne sera plus obligatoire. Il y aura seulement « une visite d’aptitude pour les salariés occupant un poste présentant des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité». De même, le licenciement pour inaptitude à occuper tel ou tel poste quand  on est usé par le travail devient dans ce projet de loi un licenciement pour  « motif personnel». On évolue ainsi vers un  recul des reclassements sur des postes allégés au profit d’un tri sélectif permanent des salariés usés par deux ou trois décennies de travail pénible. Avec cette loi, ils seront jetés dehors comme on jette des déchets dans la benne à ordures. Voilà aussi pourquoi ce projet de loi doit poser un problème de conscience à bien des parlementaires. A commencer par ceux qui se réclament de Jaurès ou de Blum.
Car tous ces articles montrent que dans ce projet de loi se niche un double objectif : accentuer l’exploitation des gens au travail et s’en débarrasser quand les dommages causés sur eux par cette surexploitation ne leur permet plus d’être assez performants aux yeux des employeurs. C’est une raison largement suffisante pour en exiger le retrait.

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