mercredi 18 mai 2016

Air France. Dernières manches autour de la chemise

Air France. Dernières manches autour de la chemise

Laurence Mauriaucourt
Vendredi, 13 Mai, 2016
L'Humanité

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Patrick Nussbaum
Un journaliste d’investigation révèle les manipulations de la direction, à deux semaines du jugement des cinq syndicalistes accusés de violences.
En quelques clics, la version de la direction d’Air France sur l’affaire des chemises déchirées, le 5 octobre 2015, se prend une belle claque. Le journaliste indépendant Geoffrey Le Guilcher (Mediapart, le Canard Enchaîné, l’Express, ex-Inrocks) publie par épisodes une enquête menée depuis quatre mois pour le site Les Jours. L’épisode 3 révèle que la direction de la Compagnie aérienne avait fait étoffer son réseau de caméras de surveillance en catimini, la veille de la réunion du comité central d’entreprise (CCE) qui a tourné au vinaigre. Tout était prêt pour capter des images aux points névralgiques où ça risquait… où ça devait déraper. Bien vu ! Ce sont ces nouveaux angles de prise de vue qui ont été utilisés par Air France pour incriminer cinq syndicalistes et les virer. L’un d’eux, Vincent Martinez, a pourtant déjà pu réintégrer son poste, son licenciement ayant été annulé par les services d’inspection du travail, qui, après avoir visionné d’autres vidéos, ont jugé que Vincent non seulement n’avait pas été violent envers les deux cadres fortement chahutés, certes, mais qu’il avait même eu une attitude protectrice envers eux.
Qu’à cela ne tienne, la direction n’en démord pas et attend de la ministre du Travail, Myriam El Khomri, qu’elle confirme ce licenciement, comme elle en a le pouvoir. Mais, voilà que l’enquête du site Les Jours met en lumière de nouvelles images, qui viennent étayer les conclusions favorables au syndicaliste. La direction, avec l’aide d’un haut cadre de la préfecture de Seine-Saint-Denis, aurait par ailleurs obtenu que le document officiel, remis aux syndicats, du parcours – qui permettait, ce jour-là, au cortège de manifestants en lutte pour la sauvegarde de 1 000 emplois d’atteindre le parvis du siège où se tenait le CCE –, soit tout simplement raturé pour signifier que les salariés étaient assignés à demeurer dans la rue et qu’ils ont outrepassé leurs droits en pénétrant par la force dans l’enceinte du siège de leur compagnie. Pas joli, joli.

Le caractère « politique » de l’affaire

« Il n’est pas simple d’enquêter, tant la direction verrouille les informations. Cette affaire est très sensible pour elle », nous confie Geoffrey Le Guilcher. Si le PDG Alexandre de Juniac se répand dans la presse sur sa fierté, son « excellent » bilan financier à la tête d’Air France qu’il s’apprête à quitter, personne au sommet de la pyramide ne se risque plus à jouer la carte médiatique au sujet des procédures juridiques en cours. « Personne ne peut d’ailleurs préjuger de ce qui va se passer le 27 mai, au tribunal de Bobigny », poursuit le journaliste enquêteur, pour qui le caractère « politique » de l’affaire ne fait aucun doute. « L’État est partout à Air France. Il en est actionnaire, c’est lui qui distribue les créneaux aériens… » L’État n’ignore pas que, dans le cœur d’une majorité de Français, Air France, c’est un peu comme La Poste, la SNCF ou EDF, un fleuron social du pays.
La responsabilité des médias d’information continue, en particulier, en prend également un coup avec ces nouvelles révélations. « Ils sont allés jusqu’à affirmer qu’un vigil était dans le coma après avoir été violenté par les manifestants, ce qui était faux », poursuit Geoffrey Le Guilcher. Pour lui, « il est clair que la direction d’Air France use de stratégie pour affaiblir les syndicats revendicatifs comme la CGT ». Pas étonnant quand on sait que les effectifs en bleu de travail et en uniforme sont plus touchés par les plans de suppression de postes que les cadres, dont les effectifs sont même en nette augmentation ces dernières années.
La CGT se trouve confortée dans ses affirmations sur le fait que, et c’est illégal, des vigiles de sociétés privées avaient été embauchés en grand nombre. Qu’un huissier attendait sur place d’avoir à constater les « violences ». « Nous avons interpellé le nouveau DRH, Gilles Gateau (un proche de Manuel Valls), à la lumière des éléments publiés ces derniers jours qui témoignent de l’intérêt que la direction pouvait avoir à ce qu’il y ait des débordements, pour qu’il plaide en faveur de l’arrêt des poursuites judiciaires. Pas de réponse », relate Medhi Kemoune, porte-parole du syndicat, à qui nous avons demandé ce que deviennent ces quatre autres syndicalistes licenciés, qui réclameront donc toujours leur réintégration devant le tribunal de Bobigny, le 27 mai. « Ils ont trouvé un emploi temporaire dans une imprimerie, même s’il se sait que la direction d’Air France et le gouvernement ont fait pression sur le patron pour qu’il ne les emploie pas. »
Ce vendredi-là, dès 9 heures devant le tribunal, un grand rassemblement de soutien est prévu avec prise de parole, projection du film Comme des lions, sur la lutte des PSA-Aulnay, et concert.
Au-delà de ce rendez-vous avec les autorités judiciaires, la bataille pour l’emploi et le développement de la compagnie aérienne continue. « Nous avons déposé des propositions concrètes et chiffrées qui permettraient d’économiser 600 millions d’euros sans toucher aux effectifs, rappelle le responsable syndical. Mais, couper dans les effectifs reste sans doute un signe d’efficacité aux yeux des tenants des marchés financiers, déplore Medhi Kemoune. La logique de flexibilité va faire que de nouveaux services au sol risquent d’être externalisés, alors que pour des raisons évidentes de sécurité et même de coûts, un pays comme les États-Unis mise sur des réintégrations sur les pistes. » Le futur nouveau PDG Jean-Marc Janaillac, qui doit prendre ses fonctions en juillet, est-il prêt à négocier un virage à 180° pour éviter le crash social ? Qui lira verra.

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