lundi 23 mai 2016

Quand l’ubérisation fait entrer une forme de proxénétisme dans la répartition du travail

Quand l’ubérisation fait entrer une forme de proxénétisme dans la répartition du travail

Gérard Le Puill
Dimanche, 22 Mai, 2016
Humanite.fr

Alors que l’opposition du monde du travail contre le projet de loi El Khomri se poursuit est s’est même amplifiée  jeudi dernier, lire ce qui s’écrit ces derniers jours sur le rôle que joue « l’ubérisation » dans la précarisation de l’emploi est assez révélateur. Même  quand les enquêtes de journalistes partent d’un bon sentiment, le lecteur attentif  peut déceler des dangers  dont l’auteur d’un article de bonne construction apparente n’a pas forcément conscience.
Dans le supplément économique du Monde daté du 19 mai, Maryline Baumard nous explique comment « une initiative public-privé, soutenue notamment   par Uber,  vise à favoriser  l’insertion  dans les quartiers».  L’article commence par nous expliquer pourquoi, un diplômé de 28 ans  avec un nom et un prénom arabes, a, de guerre lasse , été contraint  de créer son entreprise de transport  de personnes en Seine-Saint-Denis après avoir constaté  que des offres d’emploi  de salarié auxquelles il répondait  et pour lesquelles il passait des entretiens lui échappaient toujours au profit  d’autres candidats aux noms bien français  dans son secteur de compétence qu’est l’informatique.
A partir de ce cas précis, Le Monde met en exergue une initiative  à laquelle ont participé des élus locaux de droite en Seine-Saint-Denis  le 17 mai dans un gymnase de Bagnolet : « L’aide au micro crédit  ADIE, le spécialiste  de la création d’entreprises  Planet  Adam, Rent a Car, Uber et Voiture Noire, lançaient là  l’opération « 7.000 entrepreneurs dans les quartiers »  avec la mairie de Bagnolet, Pôle emploi 93, la fondation FACE 93», peut-on lire. L’article nous explique qu’il s’agit de mettre en relation  des patrons avec des jeunes souhaitant  devenir chauffeurs.


On voit  de suite qu’il ne s’agit ici que  d’emplois de service  pour transporter des individus d’un lieu à un autre,  ce qui ne s’apparente vraiment pas à de la  création de richesses. C’est plutôt une concurrence de plus pour les taxis  par des auto-entrepreneurs eux-mêmes rackettés par des patrons de plates formes de mise en relation qui prélèvent  leur dîme un peu comme  les proxénètes prélèvent la leur sur  des personnes prostituées contraintes de recourir à « l’abattage » pour dégager  la part de revenu qui leur restera.
L’article du Monde nous dit  qu’en 2015 « 2.000 entreprises de transport de personnes ont été créées en Seine Saint Denis ». Probablement pas  pour prendre en charge les clients  supplémentaires que les chauffeurs de taxis munis d’une licence n’auraient pas le temps de transporter, mais plutôt pour leur enlever des clients  à partir d’un statut plus précaire d’un auto-entrepreneur  qui travaillera jusqu’à pas d’heure  pour tenter de tirer un  maigre revenu. Car  « chauffeur  est un métier facile d’accès dans un secteur  réputé ne pas discriminer  et qui permet  de sortir du standard des métiers non qualifiés », affirme le jeune diplômé  qui est passé par sa création d’entreprise faute de pouvoir se faire embaucher dans l’information à cause de son nom.
C’est aussi à la lumière de cette nouvelle précarisation de l’emploi  au service de laquelle le système utilise aujourd’hui l’ubérisation  qu’il faut comprendre  la signification  de la procédure engagée par l’Urssaf contre Uber  en faisant valoir qu’il existe un « lien de subordination »  entre cette entreprise et ses chauffeurs puisque la plate-forme leur donne du travail à sa guise. Et les dirigeants d’Uber  exercent  leur métier  à la manière des  proxénètes  en répartissant le travail, souvent à la tête du client, chacun étant  noté sur ses  performances, là aussi comme dans la prostitution  à l’abattage.
Défenseur de la loi El Khomri, le député socialiste de l’Ardèche  s’exprime dans Les Echos de ce 19 mai et « pense que l’Urssaf  fait fausse route en considérant  que les chauffeurs d’Uber  devraient devenir salariés ». Selon Christophe Sirugue, un autre député socialiste rapporteur du texte à l’Assemblée,   «nous ouvrons des droits nouveaux à ces travailleurs sans pour autant reconnaître une relation de salariat, qui ne se prête pas à ces plates-formes ». Lui aussi est favorable à cette précarisation. Notons ici que les deux compères socialistes se situent à droite  de Stefano Scarpetta, directeur  emploi, travail, affaires sociales de l’OCDE, institution pourtant très libérale. Scarpetta  affirme en effet  dans la même page des Echos : « les risques qui sont traditionnellement   liés à l’activité, comme la perte d’emploi  ou l’accident du travail, sont en train de se transférer sur le travailleur lui-même.  Mais les  travailleurs indépendants ont-ils les moyens de se prémunir  contre ces risques ? Et comment leur  garantir  un minimum de protection», interroge-t-il ?
Bonnes questions en effet quand le donneur d’ordre  prélève systématiquement sa dîme  et peut discriminer  certains de ses auto-entrepreneurs   pour  en favoriser d’autres dans de nouveaux métiers qui ne sont généralement pas  créateurs de valeur ajoutée. Cela abouti  finalement à partager de manière toujours plus injuste  d’un gâteau qui n’augmente pas  de volume tandis que la part des parasites qui organisent l’exploitation des gens sous leur dépendance  ne cesse d’augmenter.

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